Article du 16.05.2018
On appelle ça " progresser en connaissances ", non ? Lorsque vous regardez quelque chose sous un angle différent, il se peut que vous voyiez des choses que vous n'aviez pas vues auparavant et qu'il fait que les "faits" historiques soient replacés dans un contexte différent. Cela s'applique même à une bulle papale que nous avons utilisée récemment lors de nos recherches sur le troisième abbé, Idesbald, dont on pourrait penser qu'elle a déjà été étudiée de long en large.
Cette bulle est le tout premier document papal pour l'Abbaye des Dunes. Elle date du 7 février 1165 et confirme pour l'abbé Idesbald les possessions. Le document est conservé dans son état original au Grand Séminaire de Bruges, bien que le sceau de plomb ait été perdu. Il y a deux ans, vous avez pu le voir dans l'exposition "Idesbald et les 1000 squelettes", consacrée aux obsèques, aux mémoires et aux recherches sur les dépouilles mortelles dans l'abbaye.
À cette époque, de nombreuses acquisitions se faisaient de main à main, sans acte écrit. La confirmation périodique par un souverain ecclésiastique, tel que le pape ou un évêque, ou par un souverain séculier, tel que le comte de Flandre, signifiait qu'une abbaye voyait ses biens enregistrés légalement. Bien qu'aujourd'hui, cela ne tiendrait pas devant un tribunal: tout dépend de la liste des biens... que l'abbaye elle-même avait rédigée puis simplement présentée pour confirmation!
L'année dernière, un colloque a été organisé à Bergues (en Flandre française) sur saint Winoc et en particulier sur l'abbaye du même nom. Les organisateurs, le Comité flamand de France et plusieurs universités du nord de la France, ont demandé au Musée de l'Abbaye d'expliquer la relation entre l'abbaye de St Winoc et l'Abbaye des Dunes, car les cisterciens possédaient leur plus grande grange monastique dans le Westhoek à Synthe, près de Dunkerque. Ceci dans une région où saint Winoc collectait traditionnellement la dîme, un impôt ecclésiastique. L'arrivée de Ten Duinen entraîne un conflit majeur, car les cisterciens prétendaient être exclus de cette taxation.
Nous connaissions déjà les documents de Ten Duinen à ce sujet. Le même jour que la bulle papale pour Ten Duinen, le pape a écrit à l'abbaye de Bergues et au chapitre de sainte Walburge de Veurne qu'ils devaient cesser d'exiger des dîmes sur le fourrage de l'Abbaye des Dunes. Il est évident que Ten Duinen a réussi à atteindre le pape.
Dans le cadre du colloque, nous avons également examiné les archives de l'Abbaye de Saint Winoc. Et on s'avère que moins d'une semaine plus tard, le 13 février 1165, ces bénédictins ont reçu leur propre confirmation papale de leurs biens, y compris les dîmes. En d'autres termes, les deux institutions se sont armées de documents papaux avant que le conflit n'éclate. Comme le pape Alexandre III séjournait dans la ville française de Sens en raison des circonstances, ils ont pu aller le voir facilement afin d'obtenir chacun leur titre légal, sans que l'administration papale n'y voie de contradiction.
Le résultat est connu: un "compromis" a été trouvé, que les deux abbés ont soigneusement scellé et dont chacun a reçu une copie. Bon, compromis: si vous lisez bien, c'est une défaite pour Ten Duinen. L'abbaye des Dunes devait tout de même payer la dîme, seul le fourrage des animaux en était exempté.
Lorsque Jean De Cuyper a écrit son célèbre livre sur Idesbald, il y voyait des concessions de la part de l'humble abbé des Dunes - déjà un présupposé du " caractère divin " d'Idesbald. Mais en rassemblant tous ces éléments, une image différente se dessine. Idesbald s'est effectivement battu: il ne s'est pas laissé faire et a été le premier à obtenir le soutien du pape. Mais il a dû mordre la poussière contre les droits plus anciens des Bénédictins - soutenus par le même pape !
Ce n'est que sous les successeurs des deux abbés que les relations entre les deux institutions semblent s'être quelque peu normalisées. Bien que l'on ait parfois l'impression que les relations cordiales entre les deux pouvoirs ecclésiastiques ne se sont jamais concrétisées... - mais ça, c'est pour plus tard.